mardi 26 juillet 2011

CHANDELLES NOIRES (A Murder of quality, Gavin MILLAR, 1991) Téléfilm





La quiétude de la très aristocratique public school de Carne est sérieusement perturbée lorsque l'épouse de l'un des professeurs est retrouvée assassinée à son domicile. George Smiley (Denholm ELLIOTT), ex-agent des services secrets, accepte de mener une enquête discrète sur la demande de son ancienne collègue, Ailsa Brimley (Glenda JACKSON). Il découvre bientôt que la victime était une infâme mégère, qui n'aimait rien tant que de pourrir la vie des enseignants en leur mettant le nez dans leurs turpitudes. D'où un nombre considérable de suspects, depuis l'époux de la défunte, qui ne supportait plus ses commérages, jusqu'au "maître de maison" Terence Fielding (Joss ACKLAND), homosexuel nourrissant des sentiments ambigus pour ses élèves, en passant par l'adultère Felix D'Arcy (Ronald PICKUP).




George Smiley, officier de renseignement modeste et rondouillard, à l'intelligence redoutable et aux multiples complexes, est l'un des personnages fétiches de John LE CARRE, qui en fit le héros de quelques-uns de ses romans les plus fameux, comme "La Taupe" ou "Les Gens de Smiley". "Chandelles noires" n'est pas la plus connue de ses aventures, mais à coup sûr l'une des plus savoureuses, et celle qui présente le plus de ressemblances, tant par l'atmosphère que par l'agencement de son intrigue, avec les romans d'Agatha CHRISTIE.



Adapté par l'auteur lui-même et réalisé par le brillant téléaste Gavin MILLAR (par ailleurs signataire pour le grand écran d'une excellente évocation de la vieillesse de l'Alice carrollienne : le dramatiquement négligé Dreamchild, où la grande Coral BROWNE incarnait Alice âgée), Chandelles noires est un élégant téléfilm de facture typiquement britannique, à la fois inquiétant, drôle et incisif, où s'illustre un casting quatre étoiles. Denholm ELLIOTT s'impose comme l'interprète définitif du personnage de Smiley (supérieur, à mon sens, au pourtant remarquable Alec GUINNESS, qui tint le rôle dans la mini-série La Taupe), dont il excelle à faire sourdre l'amertume et la dureté profonde cachées sous une apparente bonhommie. Glenda JACKSON nous offre l'une de ses dernières interprétations avant son retrait des écrans en faveur d'activités politiques, et Billie WHITELAW est une fois de plus mémorable en clocharde adepte de la magie noire, seule témoin du meurtre, que sa semi-débilité rend fort peu utile à l'enquête. Ronald PICKUP brosse un savoureux portrait de professeur cauteleux et fuyant, mais c'est Joss ACKLAND qui emporte le morceau et grave indélébilement sa performance dans l'esprit du spectateur. Il est absolument prodigieux en Terence FIELDING, imposant maître à penser d'une pépinière d'adolescents soumis à son charisme, taraudé par ses pulsions pédérastiques, et dissimulant sous un cynisme ravageur et une autorité sans faille l'humiliante conscience de sa bénignité sociale.


Denholm ELLIOTT


Joss ACKLAND


Ronald PICKUP


Glenda JACKSON


Billie WHITELAW

Je ne saurais trop vous conseiller de vous abandonner aux charmes un rien pervers et profondément sarcastiques de ce petit joyau de la télévision britannique.



Hadopiser ici, en VHSRip (enregistrement télé) et V.F.

Extrait : Le coming out de Joss ACKLAND



dimanche 24 juillet 2011

L'EPOUVANTAIL DE LA MORT (The Scarecrow, Sam PILLSBURY, 1982)





Cette admirable adaptation d'un classique de la littérature néo-zélandaise contemporaine s'inscrit dans une lignée de films qui, de La Nuit du chasseur à L'Enfant miroir, évoque le monde de l'enfance et de la pré-adolescence sous l'angle du "fantastique réel", à travers la vision inquiète et quelque peu fantasmée de leur quotidien par de jeunes protagonistes confrontés à des situations déstabilisantes -- voire mortelles.
Ici, le ton est beaucoup plus ludique et décontracté que dans les deux œuvres pré-citées, même si les deux gamins qui tiennent lieu de héros ont affaire à un authentique serial killer, en l'occurrence un vieux vagabond mythomane qui se pique de prestidigitation, incarné par le superbe (bien que très amoindri physiquement) John CARRADINE.



L'Epouvantail de la mort est donc, en premier lieu, un délicieux roman de Ronald Hugh MORRIESON, sorte de John KENNEDY TOOLE néo-zélandais, tant par le style (acidement humoristique) que par la biographie. MORRIESON n'écrivit qu'une poignée de romans -- dont seul "L'Epouvantail" rencontra le succès -- et passa l'essentiel de son existence auprès de sa vieille maman, avant de se suicider par l'alcool. L'adaptation de Sam PILLSBURY est très fidèle au livre, même si quelques notations assez libres du romancier sur les équivoques de la sexualité pré-adolescente ont été écartées du scénario (le gamin obèse et attardé qui sert d'objet sexuel à sa bande de potes ; l'attirance vaguement incestueuse de Ned pour sa sœur Prudence.) Mais sur le plan de l'atmosphère générale et du déroulement de l'intrigue, tout est conservé et traduit cinématographiquement avec une adresse exemplaire.




Là où le film s'avère particulièrement réussi, c'est dans la restitution du climat d'une petite ville néo-zélandaise peuplée d'aimables péquenots plus pittoresques les uns que les autres, dans l'évocation toute en demi-teintes des beautés et des crapuleries de l'enfance -- nous ne sommes pas loin du Robert MULLIGAN d'Un Ete 42 et de L'Autre --, et dans le portrait de ce criminel du troisième âge, superbement campé par CARRADINE, épouvantail éthylique et décrépit conservant une sorte de superbe faisandée qui le pare de la fascination du serpent.
Dire que le film est à redécouvrir impérativement est un euphémisme, même si la copie que je vous soumets est d'une qualité moins que moyenne (le son, surtout, a pas mal morflé au fil des ans...) J'ai longuement hésité à vous en proposer l'hadopisation, mais comme l'œuvre est introuvable ailleurs sur le net...




Hadopiser ici, en VHSRip et V.F.

Extrait : Abracadabra (oui, le son craint pas mal...)



mardi 19 juillet 2011

L'ILE DE PASCALI (Pascali's Island, James DEARDEN, 1988)





1908 ; une île de la mer Egée sous domination turque. Depuis 19 ans, Basil Pascali (Ben KINGSLEY), espion au service de l'occupant, envoie consciencieusement à Constantinople des rapports qui demeurent sans réponse. A l'exception du faible traitement perçu mensuellement, tout porte à croire qu'il est oublié du Sultan, et que ses services n'intéressent plus personne. Poussé par le besoin d'argent, il sert d'interprète à un anglais, Anthony Bowles (Charles DANCE), qui se prétend archéologue et souhaite louer au pacha local un terrain sur lequel il veut entreprendre des fouilles. Pascali lui présente Lydia (Helen MIRREN), une artiste peintre dont il est secrètement amoureux, et assiste avec douleur à la naissance de leur idylle. Lorsqu'il comprend que Bowles est un aventurier désireux de soutirer de l'argent au pacha, il l'oblige à partager avec lui le fruit de son escroquerie. Mais la découverte d'une statue ayant une véritable valeur archéologique remet en cause les plans de l'anglais, décidé à s'approprier cette pièce de musée. Décontenancé et inquiet du climat de manipulation général, Pascali s'abandonne à l'aigreur et au ressentiment, et se résout à commettre l'irréparable.





Disons-le tout net, L'Ile de Pascali est l'un des meilleurs films britanniques de la fin du siècle dernier, une œuvre d'une rare richesse émotionnelle, doublée d'un parfait accomplissement artistique. Ses qualités, unanimement saluées lors de sa sortie, ne l'ont pas empêché de sombrer dans un oubli seulement explicable par l'absence de reprises, la rareté de ses diffusions télévisées, et son indisponibilité en DVD. Le Rip que je vous propose aujourd'hui provient de la VHS distribuée jadis par GCR, seule copie commercialisée en France depuis... 21 ans ! Une honte, si l'on considère que le film devrait légitimement compter au nombre des classiques reconnus du cinéma anglais.




Classique, L'Ile de Pascali l'est autant par sa forme, retenue sans austérité, élégante sans afféterie, vibrante sans pathos, que par son contenu, d'une redoutable profondeur psychologique et d'une grande justesse historique (l'occupation Turque en Grèce est un sujet rarement exploité à l'écran). Par petites touches précises et bouleversantes, James DEARDEN (fils du réalisateur Basil DEARDEN, auteur de l'un des sketches d'Au Cœur de la nuit, et du vibrant plaidoyer anti-homophobe La Victime) nous fait partager les frustrations, les incertitudes et les angoisses de Pascali, gratte-papier de l'espionnage confronté à l'évidence de son inutilité. Le rôle permet à Ben KINGSLEY de se rappeler comme l'un des meilleurs comédiens de sa génération ; entouré d'Helen MIRREN et Charles DANCE, autres interprètes d'envergure, il offre l'une des compositions les plus poignantes de sa carrière.






Si la tonalité et le "héros" du film font parfois songer à John LE CARRE, ils évoquent également KAFKA et Roman POLANSKI, dont le pessimisme et la noirceur se seraient égarés dans le cadre d'une île à première vue enchanteresse, mais gangrenée par la corruption et les ferments de l'insurrection contre l'occupant. Je n'en dirai pas davantage sur cette oeuvre précieuse, aux séductions de laquelle seul un visionnement attentif peut rendre pleinement justice.

Hadopiser ICI, en VHSRip (qualité moyenne) et V.F.

Extrait : Les angoisses de Pascali



dimanche 17 juillet 2011

LES 13 MARCHES DE L'ANGOISSE (The Attic, George EDWARDS, 1980)






Ce remarquable thriller psychologique dans lequel l'étude de caractère prend volontiers le pas sur les frissons, est une œuvre subtile et troublante, injustement négligée des cinéphiles pour cause de distribution confidentielle (une fois de plus...) Inédit en salles françaises, sa sortie vidéo chez VIP au début des années 80 ne fit guère de vagues ; seule Cathy KARANI, de "L'Ecran Fantastique", en rendit compte dans un articulet des plus lyriques, y voyant un "sinistre panorama sur lequel se greffent les terreurs et les faiblesses humaines au sein d'une société où la personnalité est abolie et dans laquelle les appels au secours résonnent au terme d'un écho sans fin."





Carrie SNODGRESS y incarne une vieille fille vivant sous la férule d'un père infirme et despotique (Ray MILLAND), et dans le souvenir d'un amant disparu le jour de leur mariage, juste avant qu'ils ne se présentent à l'autel. Employée dans une librairie, elle n'a pour seule amie qu'une collègue qui tente de lui redonner goût à la vie et de lui faire recouvrer l'estime d'elle-même. Entre tentative de suicide, rêveries sur les différentes façons d'éliminer son paternel, et amitié pour un chimpanzé qu'elle a recueilli contre la volonté du tyran, la pauvre Carrie (qui présente quelque points communs avec son homonyme kingienne) mène une existence cafardeuse qui sera chamboulée par de cuisantes révélations sur son passé et sur les manigances de son géniteur.





Ecrit par les scénaristes du puissant The Killing Kind de Curtis HARRINGTON, auquel il s'apparente grandement (parfum d'inceste, dérive psychologique d'un personnage prisonnier de son passé), Les 13 Marches de l'angoisse se distingue par une atmosphère confinée et délétère qui, sans vraiment verser dans le fantastique, génère un trouble comparable à celui émanant des meilleurs films du genre, dans la catégorie "intimiste" et borderline. Il présente également certains aspects propres à la hagsploitation gothique, mais dans une variante masculine, avec la figure du vieux père revêche et manipulateur, férocement incarné par Ray MILLAND, et le décor de la demeure surplombée par un vaste grenier (d'où le titre original du film) où s'entassent les fétiches d'une mémoire obsédante.






La réussite de l'œuvre est inséparable de la performance de Carrie SNODGRESS, qui la porte sur ses épaules et lui communique toute sa frémissante densité. Rendons hommage à cette comédienne prodigieusement douée et trop tôt disparue (et trop peu utilisée par le cinéma), qui fut l'épouse négligée du Journal intime d'une femme mariée, très belle chronique matrimoniale douce-amère de Frank PERRY, la "mère courage" westernienne de Pale Rider, et la psychopathe acharnée à éliminer papy BRONSON dans l'épatant La Loi de Murphy, où elle est tout bonnement hallucinante. On retrouve également, dans un petit rôle de franche salope, l'impériale et glaçante Rosemary MURPHY, l'une de mes chouchoutes depuis que je l'ai découverte en belle-maman de cauchemar dans le très réussi (et lui aussi très proche des 13 Marches) You'll Like my Mother.




Rosemary MURPHY

Hadopiser ici, en DVDRip et V.O. sous-titrée.

Extrait : L'appétit vient en s'engueulant...