mardi 30 août 2011

LE DIABLE A TROIS (Games, Curtis HARRINGTON, 1967)




Games aurait pu être le chef-d'œuvre de Curtis HARRINGTON. Il s'en est fallu d'un bon scénario. Non que le script soit dépourvu d'intérêt, thématiquement (tous les thèmes favoris du cinéaste sont convoqués par Gene R. KEARNEY, à partir d'une idée originale d'HARRINGTON lui-même). Ce qui pèche, c'est sa structure. Et sa structure est ni plus ni moins celle des Diaboliques de Henri-Georges CLOUZOT. Tout repose sur un twist final que l'on sent venir 70 minutes à l'avance. Cette réserve émise (et il faut avouer qu'elle n'est pas mince), il convient d'en prendre son parti pour apprécier les aspects positifs du film, qui sont nombreux.
En premier lieu, il y a cet écheveau extrêmement élaboré de figures et de thèmes chers au cœur de l'auteur de What's the Matter with Helen ? Jeu des apparences, culte de l'artifice, fascination pour les comédiennes vieillissantes (ici Simone SIGNORET, dans un rôle prévu au départ pour Marlène DIETRICH), fausseté des rapports humains, goût de la manipulation : tout y est, servi par une mise en scène d'une admirable fluidité, et des comédiens qui, des têtes d'affiche aux seconds rôles (il y en a une jolie brochette : Don STROUD, Ian WOLFE, Kent SMITH, Peter BROCCO, Estelle WINWOOD), s'intègrent parfaitement à l'univers si particulier et identifiable du cinéaste. La photographie de William A. FRAKER (qui officia sur Rosemary's Baby) est un délice pour l'œil, de même que les décors "post-contemporains" (à la fois nostalgiques et très marqués par l'esthétique pop), à la subtile valeur symbolique.





L'histoire ? Un jeune couple richissime (James CAAN et Katharine ROSS), passionné de jeux et d'art moderne, reçoit la visite d'une représentante en produits cosmétiques (Simone SIGNORET) qui, désabusée par son métier et à bout de force, fait un malaise à leur domicile. Ils l'hébergent durant quelques jours, et découvrent en elle une partenaire idéale (et diaboliquement experte) pour les mises en scène sournoises ou canularesques dont ils aiment à pimenter leur quotidien. Comme il se doit, les jeux de rôles qu'ils improvisent se révèleront moins innocents qu'il n'y paraît, et déboucheront rapidement sur le drame.
Une telle intrigue offre une occasion royale de démonter les mécanismes du camp, ce concept qui vise, à travers une glorification de l'artifice et une systématisation de l'outrance, à déstructurer les schémas sociaux, moraux et sexuels. Expert en la matière, HARRINGTON fait de son film une passionnante étude des tenants et aboutissants du camp, à défaut de parvenir à établir un climat de suspense réellement probant.


Katharine ROSS moustachue... Un trait typiquement camp :
la remise en cause des rôles et schémas sexuels
.




Tel quel, Games reste néanmoins l'une de ses réussites majeures, pour laquelle il manifesta toujours un certain attachement. Bien que regrettant l'impossibilité d'obtenir DIETRICH pour le rôle de Lisa Schindler (le producteur Lew WASSERMAN estimait qu'elle ne valait plus un clou au box office, et contacta en premier lieu Jeanne MOREAU, qui déclina la proposition), il se montra toujours extrêmement satisfait de sa collaboration avec SIGNORET -- malgré les inquiétudes du costumier Morton HAACK, qui se plaignait d'avoir à "habiller une souris et un éléphant" (la souris étant Katharine ROSS, l'éléphant SIGNORET, alors en pleine période d'"inflation pondérale".)
Pour les fans de HARRINGTON -- de plus en plus nombreux, ce qui n'est que justice --, Games est sans contredit un incontournable.





Ayant constaté un décalage sonore (dont ne souffre pas la copie) sur les extraits que j'avais prévu de poster, je ne vous soumets ici que le générique, emprunté à YouTube...

Vidéo postée par dogonsey

Hadopiser en DVDRip et V.O.S.T. (nouveaux liens RS) :
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Encore une image iconiquement camp

dimanche 28 août 2011

THE IDOLMAKER (Taylor HACKFORD, 1980)





"L'un des secrets les mieux gardés du cinéma". C'est par cette formule qu'un commentateur de l'IMDB débute sa critique de The Idolmaker, et si cette assertion est sans doute excessive, force est de constater que le film de Taylor HACKFORD (Dolores Claiborne ; Ray) reste méconnu dans son pays d'origine (sans parler de la France, où il ne fut jamais distribué), malgré de multiples qualités.
Nous y suivons le parcours de Vincent Vacarri (Ray SHARKEY), un employé de restaurant qui s'improvise imprésario et décroche la timbale en lançant deux rock stars, soigneusement façonnées sur le modèle d'Elvis PRESLEY. Librement adapté de la vie de Bob MARCUCCI, "découvreur" de deux des teen idols les plus célèbres des années 60 (Frankie AVALON et FABIAN, qui s'insurgèrent contre le portrait peu flatteur brossé d'eux par le scénario), le film restitue admirablement le ton d'une époque et la frénésie présidant à l'élaboration de stars formatées, n'ayant d'autres atouts qu'une belle gueule et une soif inextinguible de gloire.





L'attrait du scénario réside essentiellement dans le portrait qu'il brosse de Vacarri, infatigable Pygmalion beaucoup plus doué que ses ternes poulains, mais n'ayant pas le physique adéquat pour accomplir la carrière à laquelle ses talents le prédisposent. Aussi concentre-t-il toute son énergie dans la fabrication de ses deux vedettes, et en particulier de la seconde, le pitoyable Caesare (Peter GALLAGHER), dont la promotion nécessite des trésors d'imagination et d'acharnement, et qui lui vaudra un succès aussi gratifiant qu'imprévisible.
Le film repose essentiellement sur l'abattage de son interprète principal, le regretté Ray SHARKEY, totalement habité par un rôle qui demeure le plus marquant de sa carrière (et lui valut un Golden Globe). Tout aussi étonnant, GALLAGHER parvient à nous convaincre de la touchante incompétence de son personnage, avant un revirement d'envergure où, à bout de frustration et d'angoisse, il se mue en idole charismatique par la grâce d'un concert mémorable. Paul LAND est également excellent en première "découverte" de Vacarri, rapidement imbu de son succès et suivant d'un mauvais œil l'ascension de son rival.




Ce film quasi parfait (tout au plus peut-on regretter la frilosité du scénariste Edward DI LORENZO -- auteur de Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle ! -- envers le sous-texte gay inhérent à la fabrication et à l'émergence de ces stars masculines fleurissant dans les années 50-60) ne porta pas chance à ses interprètes -- exception faite de GALLAGHER, qui poursuit une florissante carrière de second rôle. Accro à l'héroïne, SHARKEY finit ses jours dans la misère auprès de sa mère, et mourut prématurément du Sida. Paul LAND abandonna le cinéma après deux autres films sur l'injonction de son épouse jalouse, et mourut en 2007 après s'être reconverti dans le bâtiment. The Idolmaker, dans son refus de tout romantisme et sa vision acerbe du milieu du show-biz, n'en est qu'un plus précieux témoignage de ces talents gâchés. Signalons, pour l'anecdote, que Michael JACKSON et PRINCE le citèrent parmi leurs films préférés.




Hadopiser ici, en DVDRip et V.O.S.T.

Extrait : les débuts de Caesare...

vendredi 26 août 2011

L'ENQUETE DE L'INSPECTEUR GRAHAM (The Unguarded Moment, Harry KELLER, 1956)





Après le psycho-killer, dont je vous proposais l'un des prototypes il y a deux jours avec La Force des ténèbres, c'est un ancêtre du slasher que j'aimerais partager aujourd'hui avec vous. Non que L'Enquête de l'inspecteur Graham soit riche en meurtres dégoulinants et en donzelles en chaleur ; c'est plutôt le climat général du film d'Harry KELLER, son cadre et sa thématique, qui évoquent ce genre si populaire durant les années 1980, et remis à la mode par les pitreries craveniennes au milieu des nineties.



Un tueur mystérieux, un campus, quelques pom pom girls, une proie féminine victime des harcèlements du cinglé, un flic un peu largué, un twist final, et un climat de puritanisme typiquement amerloque : le film aligne avec un flair prémonitoire tous les éléments qui allaient faire la fortune des émules de John CARPENTER. Ajoutons-y un John SAXON tout jeunot, appelé à devenir, trois décennies plus tard, l'une des icônes du genre en question grâce à sa participation aux Griffes de la nuit.
L'Enquête de l'inspecteur Graham offre également à Esther WILLIAMS une rare occasion de sortir des bassins de la M.G.M. et de dévoiler des talents d'actrice insoupçonnés. Ses partenaires ne sont pas en reste, en particulier Edward ANDREWS, dans un rôle typique de salaud trop policé pour être honnête, et le sous-estimé George NADER, le plus hétéro des acteurs gays des années 50, détenteur du rôle-titre (pour le titre français, du moins...)
Une pépite vintage à hadopiser ici, en VHSRip (enregistrement télé) et version originale sous-titrée tout droit sortie de La Dernière séance.



Extrait : Le parfum du slasher, trente années avant l'heure...


"Ne vous inquiétez pas, vous allez l'avoir..." et profond !...

mercredi 24 août 2011

LA FORCE DES TENEBRES (Night Must Fall, Richard THORPE, 1937 / Karel REISZ, 1964)






Adaptation d'une pièce à succès du comédien-dramaturge Emlyn WILLIAMS (le Caligula toute folle du I, Claudius inachevé de Josef Von STERNBERG), La Force des ténèbres peut être considéré comme l'un des ancêtres du film de psycho-killer, avec son tueur en série aux abords sympathiques trimballant la tête de sa dernière victime dans un carton à chapeau, et jouant de sa séduction pour s'attirer les grâces d'une vieille dame grincheuse et de sa nièce.
Il s'agit sans contredit de l'un des joyaux de la filmographie de Richard THORPE, prolifique "homme à tout filmer" de la M.G.M. (engagé par la firme au milieu des années 1930, il ne la quitta plus jusqu'à sa retraite en 1967), où Robert MONTGOMERY, alors estampillé "acteur de comédies", trouve son rôle le plus atypique. Tout à la joie de rompre avec son image de marque, il s'investit énormément dans l'élaboration de son personnage, allant jusqu'à intervenir dans la mise en scène. Passant de la jovialité exubérante à l'amertume sardonique puis à l'hystérie meurtrière, il impose un jeu totalement imprévisible et d'une stupéfiante modernité.



Rosalind RUSSELL, elle aussi spécialiste des comédies sophistiquées, adopte un registre subtil et mesuré à mille lieues des débordements camp de ses prestations emblématiques (la Sylvia de Femmes et l'excentrique tante Mame de Ma Tante), tandis que Dame May WHITTY est tout bonnement inoubliable en vieux tyran hypocondriaque et faussement paralytique, manipulée avec adresse par le tueur.
Mais La Force des ténèbres n'est pas qu'un film d'acteurs, et mérite d'être salué pour sa mise en scène ingénieuse, qui préserve à juste titre l'artifice et les conventions théâtrales (les protagonistes jouent, chacun à leur manière, un rôle qui les protège et les dissimule), tout en évitant le piège de la "pièce filmée", grâce à un sens aigu de l'atmosphère. L'adaptation respecte le contenu très queer de l'œuvre originale, et suggère avec finesse toutes les ambiguïtés de son "héros" au complexe d'œdipe aussi écrasant que celui de Norman Bates, et pour qui le désir des femmes se convertit instantanément en pulsions homicides.




Beaucoup moins maîtrisé, le remake de Karel REISZ, réalisé en 1964, souffre d'une certaine disparité de ton. Psychose est passé par là, et l'on sent chez les auteurs une volonté de marcher sur les foulées d'HITCHCOCK, tout en conservant les préoccupations sociales et un goût du naturalisme caractéristiques du "Free Cinema", dont REISZ fut l'un des plus célèbres représentants. Ces options contradictoires finissent par saper l'unité du film, la libération des mœurs propre aux sixties s'harmonisant mal au climat de conservatisme et de répression décrit par la pièce.



Le traitement du scénario, lâche et souvent maladroit, fait perdre son ossature à l'intrigue (la liaison amoureuse immédiatement concrétisée de Danny et d'Olivia atténue l'ambiguïté à leurs rapports ; le personnage de la vieille dame est relégué au second plan ; la scène fameuse, dans le film de THORPE, de la fouille de la chambre de Danny par l'inspecteur, est ici dénuée de tout suspense), et le numéro d'Albert FINNEY, certes amusant pour les amateurs de cabotinage éhonté, finit néanmoins par lasser, tout en privant le personnage de Danny du charme qu'il est censé dispenser et qui lui permet d'embobiner son entourage. A ce film brouillon et complaisant (dont on saluera néanmoins l'excellente photographie signée Freddie FRANCIS), il est permis de préférer le méconnu The Night Digger, variation beaucoup plus subtile sur les thèmes de La Force des ténèbres, dont il est un quasi-remake.





Extraits : deux versions d'une même scène, qui font honneur au film de THORPE...





VHS Rips d'enregistrements télévisés.
Hadopiser la version de 1937 ici (nouveau lien)
Hadopiser la version de 1964 ici (nouveau lien).